Avez-vous dĂ©jĂ entendu parler des Ă©motions primaires et secondaires de l’enfant ?
Ou quand les émotions authentiques se dissimulent derriÚre des émotions parasites !
Mais dâoĂč viennent les Ă©motions ? A quoi servent-elles ?
Le nourrisson a-t-il les mĂȘmes Ă©motions quâun adulte ? Sâagit-il dâĂ©motions naturelles ou fabriquĂ©es ? Autant de questions qui intĂ©ressent de nombreux parents.
Il peut parfois sâavĂ©rer compliquĂ© de comprendre le sentiment rĂ©el derriĂšre une rĂ©action Ă©motionnelle enfantine jugĂ©e excessive. Quel parent ne sâest pas dĂ©jĂ senti dĂ©muni face Ă la colĂšre explosive ou la tristesse inconsolable de son enfant ?
Si les Ă©motions des tout-petits nous semblent parfois irrationnelles, câest aussi parce quâune Ă©motion peut en cacher une autre !
Muriel Mairet, Psychopraticienne en Analyse Transactionnelle Ă Paris, nous aide ici Ă comprendre la façon dont se crĂ©ent les Ă©motions chez lâenfant. Ou comment rĂ©ussir Ă faire la diffĂ©rence entre Ă©motions primaires et secondaires, pour mieux accompagner le dĂ©veloppement psychoaffectif de nos petits.
1 – Quâest-ce quâune Ă©motion ?
Avant de vous parler de lâimportance des diffĂ©rences, et de la confusion faite parfois entre Ă©motions primaires et Ă©motions secondaires, un petit rappel sâimpose sur la dĂ©finition des Ă©motions.
Une Ă©motion est une rĂ©action affective intense sâexprimant par des manifestations diverses, des sensations physiques, qui seront ressenties diffĂ©remment par les gens. Une Ă©motion commence par une sensation, câest une Ă©nergie qui va chercher Ă sâexprimer Ă lâextĂ©rieur.Â
Il existe quatre émotions principales : la joie, la colÚre, la peur, la tristesse, à travers lesquelles circule une énergie propre à chacune.
Une multitude dâĂ©motions diverses existe. Elles sont combinĂ©es aux principales avec des pensĂ©es plus complexes, acquises au fil de nos expĂ©riences et de nos repĂšres familiaux, socioculturels, historiques, gĂ©nĂ©rationnels.Â
En fonction de nos modes de vie, de notre environnement, les Ă©motions peuvent avoir le droit dâĂȘtre exprimĂ©es ou rĂ©primĂ©es.
Psychologie de lâenfance : Ă quoi servent les Ă©motions ?
Chaque Ă©motion a une valeur positive dans le dĂ©veloppement de lâenfant, elle lui apprend Ă sâaffirmer en :Â
- posant son ressenti qui lui appartient,Â
- respectant un cadre, un contrat,
- obtenant un changement : pour refaire circuler lâĂ©nergie, obtenir une rĂ©paration pour se rĂ©parer, ou rĂ©parer afin de ne pas garder une Ă©nergie nĂ©gative sur laquelle il pourrait poser des bases de rĂ©fĂ©rence,
- recevant, ou en renonçant pour clore lâexpĂ©rience et entrer dans une autre.
Mettre du sens est indispensable Ă lâĂȘtre humain afin quâil puisse avancer dâexpĂ©riences en expĂ©riences, avec le potentiel de ce quâil aura appris.Â
Aussi, il nây a pas dâĂ©motion nĂ©gative, ce sont les Ă©vĂ©nements qui y sont rattachĂ©s qui peuvent ĂȘtre nĂ©gatifs.
Développement affectif de 0 à 6 ans : comment se forment les émotions
đ Â In uteroÂ
In utero lâenfant entend sa mĂšre, lâentourage de celle-ci, et ressent ses Ă©motions. Les Ă©motions existent sous une forme archaĂŻque, intuitive, et passent par la propagation de signaux nerveux Ă©lectriques donnant des sensations. (1)
Son cerveau nâa pas acquis la maturitĂ© nĂ©cessaire pour se dissocier de ce qui relĂšve de son expĂ©rience ou de celle de sa maman.Â
đ Le nourrisson
Chez le nourrisson, le siĂšge de la pensĂ©e rĂ©flĂ©chie nâest pas dĂ©veloppĂ© Ă sa naissance.Â
En effet, son cerveau est mobilisé par :
- la croissance et la crĂ©ation de nouveaux neurones,Â
- le dĂ©veloppement de toute la zone impliquĂ©e dans le contrĂŽle des mouvements, de la coordination et de lâĂ©quilibre,Â
- la reconnaissance visuelle, lâĂ©coute, sollicitant aussi la zone du langage.
đ Petite enfance
Cette période est suivie de la mise en place des connexions, des premiers raisonnements fonctionnant sur un mode binaire (avoir ou ne pas avoir, voir ou ne pas voir).
Câest en parcourant diverses Ă©tapes : acquisition motrice, marche, langage, que lâenfant dĂ©veloppe ses premiers outils pour acquĂ©rir plus dâautonomie.Â
Il fait lâexpĂ©rience de devenir lui-mĂȘme, choisir, avancer, sous la validation de ses parents. Â
đ En grandissantÂ
Puis se forment :
- le stockage temporaire dâinformations pour corriger des erreurs de raisonnement,Â
- la conscience de son identitĂ©, de lâautre,Â
- la conscience de ses actes, qui ont des impacts sur les autres.
Ces apprentissages passent dâabord par le jeu, puis le langage. Ces dĂ©couvertes sont sĂ©quentielles et en couches. Parfois, un acquis est oubliĂ© pendant que lâenfant sâoccupe dâun autre qui marche bien.
Lâenfant grandit, son cerveau se dĂ©veloppe et acquiert chaque jour de nouvelles informations. Il trie, range, crĂ©e. Son travail est quotidien. Un vaste plan de connexions va ensuite lâoccuper pour lâessentiel jusquâaux alentours de 12 ans.
En parallĂšle, tout son entourage lui permet de mettre du sens entre ce quâil ressent et ce quâil vit. Ce temps dâexplications mobilise les ressources de chaque individu qui accompagne lâenfant.Â
Les Ă©motions ne peuvent ĂȘtre acquises dĂšs les premiĂšres explications car lâenfant est mobilisĂ© par dâautres acquisitions en cours. La motivation, la patience, la persĂ©vĂ©rance exigent beaucoup de temps chez le parent, ce sont des qualitĂ©s de champion !
Lâenfant aussi est un super champion : ses Ă©motions l’envahissent un nombre de fois incalculable, et pourtant il fait face, avec toute son Ă©nergie. Souvenons-nous de lâĂ©nergie quâil a mise pour relever la tĂȘte, pour se mettre assis, se lever, marcherâŠ1000 fois il a recommencĂ©, 1000 fois il a pleurĂ© et il y est arrivĂ©.Â
Câest un parcours universel.
2 – Emotions primaires et secondaires : quand les Ă©motions jouent Ă cache-cache
La gestion des Ă©motions n’est pas un long fleuve tranquille
Dans la vie des parents et enfants champions, il y a aussi des moments de dĂ©couragement, de doute. Le parent, comme lâenfant, Ă©value ses capacitĂ©s et se confronte Ă lâidĂ©e quâil nâest pas tout puissant.Â
LâĂ©volution nâest pas une courbe exponentielle parfaite, elle passe par des descentes, des plateaux, et remonte pour poursuivre son ascension. Une baguette magique serait la bienvenue, surtout quand on est parent solo, lĂ oĂč la solitude peut renforcer la pensĂ©e de ne pas y arriver.Â
Lâisolement gĂ©ographique, familial, amplifie le dĂ©sarroi et la culpabilitĂ© de ne pas trouver les moyens pour rééquilibrer les vĂ©cus Ă©motionnels de lâenfant.Â
Parfois, la diade parent-enfant se met Ă souffrir et pour la mĂȘme raison : lâun et lâautre ne comprennent pas ce quâil se passe et se sentent seuls. La communication est en dĂ©sordre ou ne passe plus.Â
L’importance de la communication : la confusion des sentimentsÂ
Ils peuvent ainsi rester chacun de leur cĂŽtĂ©, Ă se dĂ©brouiller et inventer un raisonnement, une rĂ©flexion qui leur sert de repĂšre et de mode dâemploi. Compte-tenu de lâimmaturitĂ© psychique de lâenfant, ce repĂšre risque de ne pas ĂȘtre adaptĂ© dans une autre situation.Â
đ Lâenfant relie ainsi des pensĂ©es, des comportements qui sont en dĂ©saccord avec ce quâil ressent. Ces pensĂ©es et comportements peuvent alors sâexprimer Ă travers une Ă©motion qui nâest pas authentique.
Deux émotions sont potentiellement activables : « émotion authentique », « émotion parasite »
Les Ă©motions primaires et secondaires reprĂ©sentent des Ă©motions authentiques, cachĂ©es sous des Ă©motions dites « parasites. Les deux ont de la valeur, un sens et un objectif.Â
đ LââĂ©motion parasite cache lâauthentique, câest un moyen mis en place pour ĂȘtre entendu, satisfait. Elle est autorisĂ©e comme «ce que je peux exprimer et qui marche bien».
đ Câest un systĂšme qui permet de protĂ©ger lâautre Ă©motion, celle qui est plus profonde, et qui prĂ©sente un risque pour lâenfant. Si il lâexprime, lâenfant sent quâil ne sait pas la supporter, ou risque de dĂ©plaire au parent. Câest sa perception du risque, basĂ©e sur les repĂšres de son Ăąge.Â
Lâenfant dĂšs tout petit construit sa boĂźte Ă truc en fonction des rĂ©actions, des messages et de lâattention que son entourage lui porte. Ce sont ses modes dâemploi pour apprendre Ă comment faire dans la vie.
3 – Etude de cas : les Ă©motions primaires et secondaires de Louis, 5 ans
La situation
Un aprĂšs-midi, Louis, 5 ans exprime une tristesse terrible, des pleurs Ă©tranglĂ©sâŠLe parent ressent de lâagacement, et la colĂšre lâenvahit Ă son tour. Le parent lĂąche une tempĂȘte de mots.Â
«Ce nâest pas grave» me dit-il, «demain il nây pensera plus» ou «Jâen ai entendu des plus dures, je nâen suis pas mort.âÂ
Seulement, un enfant ne comprend pas comme un adulte ce qui est dit. Certains mots, verbes, adjectifs, sont encore parfois trĂšs flous. Toutefois, il a la grande intuition du sens de ce quâon lui dit, de la dynamique positive ou nĂ©gative des mots.Â
Le ton de notre voix, notre respiration, notre visage parlent avant notre parole. Notre enfant est expert de ce langage, il a appris Ă le lire depuis ses premiers jours. Il sait ce qui lui est dit. Si le parent connaĂźt son enfant, lui aussi sait intuitivement qui il est, sâil est authentique, sâil peut avoir confiance en lui.Â
Louis pleure depuis un certain temps. Un autre besoin cherche Ă sâexprimer, quelque chose de plus profond, une Ă©motion primaire. Il y a un risque pour lui Ă le dire, peut-ĂȘtre la peur de dĂ©cevoir le parent qui a transmis ce repĂšre.
Ou parce que cette émotion authentique est interdite dans son cercle familial.
Les Ă©motions primaires et secondaires vont alors s’entre-mĂȘler.
Analyse et explications
Il existe de nombreuses familles oĂč la colĂšre et la tristesse sont interdites :
đ «Il nây a que les filles qui pleurent» (ce que lâenfant peut intĂ©grer dans sa boĂźte Ă trucs : « Je suis un garçon donc je ne pleure pas »)
đ «Ce nâest pas gentil dâĂȘtre en colĂšre» (« Je suis gentil si je ne suis pas en colĂšre »)
Cette Ă©motion parasite de tristesse lui sert Ă rester en lien avec le parent, car conserver le lien lui est primordial. Cette Ă©motion secondaire est sortie de sa boĂźte Ă trucs et cache ce quâil nâose pas exprimer. Il espĂšre parfois que le parent devine.Â
Câest un pari risquĂ©. Pourtant le parent lui a appris que câĂ©tait possibleâŠÂ
Depuis le premier jour il se lĂšve Ă chaque pleur, le rĂ©conforte, lui donne Ă manger, le berce pour soulager ses pleurs. Le parent rĂ©pond Ă toutes les demandes non verbales et lâenfant sâest construit le systĂšme «Je mâexprime, le parent vient, il me soulage, il devine mes besoins».Â
En grandissant il garde cette pensĂ©e «Mon parent devine», comme un repĂšre de sĂ©curitĂ©, quâil souhaite conserver, car il offre lâavantage de ne pas prendre de risque.
Verbaliser, comprendre, réparer
Louis pleure donc, et explique quâil veut la toupie quâun grand lui a promis et quâun autre garçon lâa reçue en cadeau. Il nây a plus de toupie pour lui. Il veut ĂȘtre comme lâautre garçon. Pour ĂȘtre pareil, le moyen est dâavoir la toupie.Â
Il a besoin de justice et se dĂ©bat avec cette frustration injuste. De sa boĂźte Ă trucs il sort la tristesse parasite, celle qui lui permet dâobtenir souvent ce quâil veut.
Louis est en fait trĂšs en colĂšre mais il ne peut pas lâexprimer devant le grand quâil ne connaĂźt pas trĂšs bien.Â
Le grand nomme la colĂšre de Louis et la reconnaĂźt, il se sent soulagĂ©. Le grand lui promet dâacheter la mĂȘme toupie. La situation rĂ©parĂ©e permet Ă chacun de conserver une relation de confiance.
4 – Gestion des Ă©motions : comment aider son enfant đ
Pour aider lâenfant Ă comprendre le sens de ses Ă©motions, lâĂ©coute, lâobservation, le questionnement, permettent de poser clairement les Ă©lĂ©ments dâune situation, de dissocier les besoins et les moyens.Â
Voici quelques clĂ©s pour l’aider Ă faire le tri entre Ă©motions primaires et secondaires, au profit des Ă©motions authentiques
đ Les questions formĂ©es avec des temps, des verbes, des conjugaisons simples, permettent dâavoir accĂšs aux informations avec fluiditĂ©. Jâobserve de nombreux parents expliquant les besoins de leurs enfants avec des phrases Ă tiroirs, je comprends quâils nâĂ©coutent pas, car je ne comprends rien non plus.Â
La solution est dans lâĂ©coute de chacun, en sâadaptant continuellement.
đ Tous les parents ont les ressources pour mieux communiquer avec leur enfant, pourvu quâils se donnent les permissions de sâen servir. Dire Ă son enfant que nous avons comme lui des Ă©motions qui nous appartiennent, que nous avons tous le droit de les vivre.Â
đ Lui dire quâil nous arrive dâĂȘtre triste, partager un souvenir oĂč nous lâĂ©tions. Exprimer Ă son enfant que nous ne savons pas toujours tout, que nous ne sommes pas parfaits, câest lui exprimer que nous sommes aussi traversĂ©s par les mĂȘmes Ă©motions tandis que notre histoire est diffĂ©rente.Â
Lâenfant comprend quâil nâest pas seul, que les grands traversent aussi ces expĂ©riences tout au long de la vie. Lâenfant reconnaĂźt le parent authentique. Ătre bienveillant envers son enfant implique aussi la bienveillance que le parent se donne Ă lui-mĂȘme.Â
Le parent ainsi disponible rend son enfant disponible.Â
Je me rappelle bien de cette toupie bleue et jaune avec un lanceur mĂ©ga rapide. Jâavais couru Ă ma pause dĂ©jeuner pour la trouver. Je nâavais pas mangĂ© mais le jour oĂč jâai retrouvĂ© Louis pour lui offrir, son sourire mâavait nourrie. đ
âĄïž Article « Comment le cerveau grandit avec lâĂąge » Par Anne LefĂšvre-BalleydierÂ
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Muriel Mairet (Psychopraticienne en Analyse Transactionnelle à Paris) pour Noö Family.